La Cour internationale de justice (CIJ) reconnaîtrait-elle une Déclaration unilatérale d’indépendance du Québec ?

Selon , le Québec est souverain depuis le 4 novembre 1981, au moment où l’acte constitutionnel de 1982 est accepté par le Premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau, ainsi que 9 des 10 Premiers ministres provinciaux, à l’insu du premier ministre du Québec René Lévesque. Il n’y a pas eu de signature lors du rapatriement de la Constitution du Canada alors que c’est la signature qui rend l’effet juridique.

Exemplaire taché de peinture rouge de la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982.

Plusieurs personnes posent la question à M. Dubois à savoir comment le Québec a réussi à se faire souverain sans reconnaissance légale. Il les invite alors à lire ce qui suit pour comprendre un peu plus clairement… ce texte provient d’une décision de la Cour suprême, ou plutôt du Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 :

106. Dans ce qui précède, nous n’avons pas écarté le principe de l’effectivité qui a été au premier rang de l’argumentation soumise. Pour les raisons qui suivent, nous ne croyons pas que le principe de l’effectivité s’applique de quelque façon aux points soulevés par la question 1. Il faut bien faire la distinction entre le droit d’un peuple d’agir et son pouvoir d’agir. Ils ne sont pas identiques. Un droit est reconnu par la loi; la simple possibilité matérielle n’a pas nécessairement le statut de droit. Le fait qu’une personne ou un groupe puisse agir d’une certaine manière ne détermine aucunement la qualité ou les conséquences juridiques de l’acte. Un pouvoir peut être exercé même en l’absence d’un droit d’agir, mais ce pouvoir est alors exercé sans fondement juridique. Notre Constitution ne traite pas de pouvoirs dans ce sens-là. Au contraire, notre Constitution s’intéresse uniquement aux droits et obligations d’individus, de groupes et de gouvernements et à la structure de nos institutions. On a soutenu que l’Assemblée nationale, la législature ou le gouvernement du Québec pourraient réaliser unilatéralement la sécession de cette province du Canada, mais on n’a pas indiqué qu’ils pourraient la réaliser en droit: on a plutôt prétendu qu’ils pourraient simplement l’accomplir dans les faits. Quoiqu’il n’existe aucun droit à la sécession unilatérale dans la Constitution, c’est‑à‑dire sans négociation conforme aux principes, cela n’exclut pas la possibilité d’une déclaration inconstitutionnelle de sécession aboutissant à une sécession de fait. Le succès ultime d’une telle sécession dépendrait du contrôle effectif d’un territoire et de la reconnaissance par la communauté internationale. Les principes régissant la sécession en droit international sont analysés dans notre réponse à la question 2.
107. À notre avis, le principe de l’effectivité qui a été plaidé n’a aucun statut constitutionnel ou juridique en ce sens qu’il ne fournit pas d’explication ou de justification préalable à l’acte. L’acceptation d’un principe de l’effectivité reviendrait essentiellement à accepter que l’Assemblée nationale, la législature ou le gouvernement du Québec peuvent agir sans tenir compte du droit, pour la simple raison qu’ils affirment avoir le pouvoir de le faire. Dans une telle perspective, on suggère en réalité que l’Assemblée nationale, la législature ou le gouvernement du Québec pourraient prétendre réaliser unilatéralement la sécession de la province du Canada dans le non‑respect du droit canadien et international. On soutient en outre que, si le projet sécessioniste réussissait, un nouvel ordre juridique serait créé dans la province qui serait alors considérée comme un État indépendant.
108. Cette proposition est un énoncé de fait, ce n’est pas un énoncé de droit. Elle peut être ou ne pas être vraie; elle n’a de toute façon aucune pertinence quant aux questions de droit dont nous sommes saisis. Si, par contre, cette proposition est présentée comme un énoncé de droit, elle revient tout simplement à soutenir que l’on peut violer la loi tant que la violation réussit. Une telle affirmation est contraire à la primauté du droit et doit donc être rejetée.

Quant aux autres aspects de la question de l’effectivité, la Cour s’en désiste : « En tant que cour de justice, nous ne connaissons ultimement que des demandes fondées sur le droit. Si le principe de l’«effectivité» repose sur la seule affirmation selon laquelle une [TRADUCTION] «révolution réussie engendre sa propre légalité» (S. A. de Smith, «Constitutional Lawyers in Revolutionary Situations» (1968), 7 West. Ont. L. Rev. 93, à la p. 96), cela signifie nécessairement que la légalité ne précède pas mais qu’elle suit une révolution réussie. Par hypothèse, la révolution réussie s’est produite en dehors du cadre constitutionnel de l’État précédent, car autrement elle ne pourrait être qualifiée de «révolution». Il se peut qu’un acte de sécession unilatérale par le Québec se voie éventuellement accorder un statut juridique par le Canada et par d’autres États, et qu’il entraîne, de ce fait, des conséquences juridiques. »


Interprétation de la Cour International de Justice

Le 22 juillet 2010, la Cour International de Justice (CIJ) a rendu un avis consultatif concernant la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, selon lequel la déclaration était conforme au droit international. Dans leur avis, les juges font référence au jugement de la Cour suprême du Canada, mais signalent que la question qui leur est posée est différente de celle qu’avait à examiner la Cour canadienne.

« La Cour suprême du Canada était priée de dire s’il existait un droit de «procéder à la sécession», et si une règle du droit international conférait à l’un des organes mentionnés un droit positif à cet égard. En revanche, l’Assemblée générale a demandé si la déclaration d’indépendance était «conforme au droit international». Il s’agit donc de savoir si le droit international applicable interdisait ou non la déclaration d’indépendance ».

Jean-François Lisée écrivait le 8 août 2010 : « Projetons-nous dans l’avenir. Après le prochain référendum, gagnant, sur la souveraineté. Dans l’hypothèse où le parlement fédéral, appliquant la loi C-20 qui lui donne droit de veto sur l’avenir du Québec, refusait de reconnaître la décision des Québécois, la Cour internationale de justice (CIJ) reconnaîtrait-elle une Déclaration unilatérale d’indépendance émise par l’Assemblée nationale du Québec ? La réponse est Oui, selon l’analyse que présente le juriste André Binette, qui avait préparé la défense du Québec devant la Cour suprême du Canada avec Me André Joli-Coeur ».

Sur le site de l’aut’Journal, Me Binette énumère les précédents créés le 22 juillet 2010 par la CIJ qui pourraient, après demain, servir le Québec :

  1. Normalement, seuls les États déjà souverains peuvent plaider leur cause devant la CIJ. Or, pour le Kosovo, la CIJ s’est donnée le droit de convoquer les représentants kosovars pour entendre leurs arguments (et les retenir). Un précédent qui s’appliquerait comme un gant au gouvernement québécois.
  2. La Serbie, opposée évidemment à l’indépendance de son ex-province, prétendait que le droit interne serbe, la constitution serbe, interdisait au Kosovo de devenir souverain. Exactement ce que dirait le Canada si le parlement canadien refusait de juger suffisante une majorité de oui à 54%, par exemple, ou si une province sur 10 refusait d’entériner un amendement constitutionnel légalisant l’indépendance québécoise. La CIJ a rétorqué qu’elle n’avait tout simplement pas à se préoccuper du droit interne et que sa réponse ne s’appuyait que sur le droit international. Pour le Québec, cela équivaudra(it?) à rejeter la loi C-20 de Stéphane Dion là où elle doit être mise: aux poubelles de l’histoire.
  3. L’avis de 1998 de la Cour Suprême du Canada (qui, chemin faisant, a fait très mal au camp fédéraliste) est-il, dans les restrictions qu’il pose au cheminement indépendantiste québécois, une référence en droit international ? Non, répond la CIJ. L’avis de la Cour canadienne est trop restrictif. Il tente d’établir une règle de droit affirmant à quelles conditions une déclaration unilatérale est acceptable alors que, selon la CIJ, le simple fait que cette déclaration ne soit pas prohibée en droit international suffit.
  4. On rétorque souvent que le Québec ne peut proclamer son indépendance sans l’accord d’Ottawa car il n’est pas une colonie et n’est pas opprimé par une puissance étrangère. Or il le faut pour prétendre au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La CIJ affirme que cette phase d’indépendance d’ex-colonies fut précédée et suivie par des déclarations d’indépendance non liées à l’oppression: « Il est toutefois également arrivé que des déclarations d’indépendance soient faites en dehors de ce contexte. La pratique des États dans ces derniers cas ne révèle pas l’apparition, en droit international, d’une nouvelle règle interdisant que de telles déclarations soient faites. »

André Binette conclut : « Il est évident que le jugement de la CIJ du 22 juillet 2010 sur le Kosovo est un précédent majeur favorable à la légalité d’une future DUI [Déclaration unilatérale d’indépendance] du Québec. Ce jugement ne repose nullement sur les faits propres au cas particulier du Kosovo, mais sur une règle du droit international général en vigueur depuis au moins trois siècles qui écarte la pertinence du droit interne de l’État prédécesseur. Pour ceux et celles qui à Ottawa en doutaient encore, la légalité de la DUI des États-Unis d’Amérique du 4 juillet 1776, qui n’a jamais reposé sur sa conformité avec le droit britannique, est confirmée par ce jugement ».

L’ancien chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion, écrivait dans La Presse le 24 juillet 2010 : « Le Canada a lui-même reconnu l’indépendance du Kosovo en février 2008. Comme chef de l’opposition, j’avais encouragé M. Harper à agir en ce sens. J’avais la conviction que le Canada prenait la bonne décision dans les circonstances et que celle-ci se faisait en conformité au droit international. L’avis de la Cour internationale de justice ne m’a donc pas surpris, encore que quatre juges ont émis des opinions dissidentes ».

« Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, consacré par la Charte des Nations Unies, est aujourd’hui élevé au rang de norme impérative de droit international. On a parfois essayé de restreindre ce principe comme s’appliquant seulement en matière de décolonisation mais la pratique, ainsi que la jurisprudence (Avis relatif au Kosovo) a affirmé la généralité de son application. Rien ne justifierait qu’une minorité distincte, se trouvant annexée à un État souverain en raison d’un paragraphe dans un traité territorial médiéval, puisse rester en dehors du cadre du principe d’autodétermination. » — Michael Farchakh

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