La rébellion, la déclaration d’indépendance et la république du Bas-Canada

La République du Bas-Canada fut une république éphémère autoproclamée dans la foulée des rébellions de 1837-1838 et qui correspond actuellement à la partie méridionale du Québec. La déconfiture de la Rébellion n’a jamais permis l’établissement réel de cet État.

Colonie britannique depuis 1763, la province de Québec fut séparée en deux colonies distinctes en 1791 : la Province du Bas-Canada, principalement peuplée par des descendants français et la Province du Haut-Canada, principalement peuplée de colons britanniques et de loyalistes américains ayant fui la révolution. Chaque entité étant dotée d’une assemblée élue.

Les francophones, qui sont majoritaires au Bas-Canada, ont l’espoir de pouvoir prendre en main les décisions importantes. Toutefois, de graves mécontentements émergent rapidement car l’assemblée est réduite à un rôle esthétique, tous les pouvoirs importants étant concentrés entre les mains d’un gouverneur nommé par Londres, lequel comprend mal les intérêts du peuple du Bas-Canada qui sont souvent opposés à ceux des Britanniques.

La situation politique, conjuguée avec la crise économique et l’émancipation des États-Unis et des États d’Amérique latine, va mener les francophones du Bas-Canada, à l’automne 1837, vers la Rébellion des Patriotes. Cependant, les troupes britanniques et leurs auxiliaires civils sont trop nombreuses et bien armées. Elles défont facilement les Patriotes qui doivent alors se réfugier aux États-Unis.

Une première invasion du Bas-Canada est tentée le 28 février 1838. Les six ou sept cents rebelles, commandés par les docteurs Côté et Nelson, quittent le Vermont dans le but de traverser la frontière. Arrivés au lieu de campement, situé à un kilomètre et demi de la frontière, les rebelles proclament Robert Nelson président de la République bas-canadienne. Ce dernier lit sa Déclaration d’indépendance du Bas-Canada qui pose des revendications très progressistes pour l’époque. Le Bas-Canada y est auto proclamé république indépendante et le peuple est déclaré absous de toute allégeance à la couronne britannique. Les bases du nouvel État sont annoncées : séparation de l’Église et de l’État, droits égaux pour les Blancs et les autochtones, abolition du régime seigneurial, liberté de presse, égalité des langues française et anglaise, etc.

Mais le gouvernement américain, sous les pressions britanniques, a décidé de rester neutre et de ne pas permettre qu’une telle invasion utilise son territoire comme sanctuaire. Nelson et Côté sont donc repoussés à la frontière et arrêtés pour violation de la neutralité, puis relâchés. À la suite de cette tentative d’invasion manquée, ils forment une organisation militaire du nom des Frères chasseurs et Nelson met aussi sur pieds un plan pour une insurrection prévue pour le 3 novembre 1838. À son retour au Bas-Canada, il est accueilli comme chef de la République mais ses troupes sont défaites à la bataille d’Odelltown le 9 novembre, près de la frontière, et l’armée britannique les menacent à Napierville plus au nord.

La déclaration d’indépendance du Bas-Canada

La Déclaration d’indépendance du Bas-Canada est écrite en février 1838 par Robert Nelson et ses partisans, quelques mois après l’insurrection bas-canadienne de 1837. Ceux-ci sont alors réfugiés aux États-Unis, d’où ils organiseront les deux invasions de 1838.

La déclaration d’indépendance est principalement inspirée de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique de 1776 et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais contient aussi d’autres idées politiques progressistes en vogue au milieu du XIXe siècle.

Le mouvement d’indépendance du Bas-Canada (aujourd’hui le Québec) échoua dans sa tentative de créer un État-nation. En 1840, le Bas-Canada fut annexé de force à la province du Haut-Canada pour en faire une seule : le Canada-Uni.

La Déclaration d’indépendance du Bas-Canada de 1838 est divisée en dix-huit articles numérotés qui mentionnent les droits réclamés par le Mouvement des Patriotes. La déclaration est écrite sous la forme d’une charte et présente sensiblement les mêmes droits qui étaient évoqués dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776. Les articles de la Déclaration regroupent trois aspects différents, soit l’aspect politique, économique et juridique. Les articles 1, 2, 13, 14, 15 et 16 touchent le volet politique, car ils évoquent le type de gouvernement désiré, la fidélité politique à la Grande-Bretagne, le système électoral et le droit de vote. Les articles 3, 4, 5, 9, 11, 12, 17 et 18 font références à l’aspect juridique, puisqu’ils mentionnent les droits et libertés dont les habitants du Bas-Canada sont privés depuis la présence du gouvernement britannique au sein de la colonie. Quant aux articles 6, 7, 8 et 10, ils font partie du secteur économique, parce qu’ils soulignent l’absolution des dettes des paysans envers leur seigneur et l’État, ainsi que le problème des hypothèques. Avant l’énumération des droits réclamés, la Déclaration illustre toutes les violations que le gouvernement britannique a commises à l’égard du peuple du Bas-Canada, ainsi que les moyens qui seront entrepris afin d’obtenir leurs revendications.


Attendu que le solennel contrat fait avec le peuple Bas-Canada et enregistré dans le livre des Statuts du Royaume Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, le 31e chapitre des Actes passé dans la 31e année du règne du Roi George III, a été continuellement violé par le Gouvernement Britannique, et nos droits usurpé; et attendu que nos humbles pétitions, adresses, protêts, remontrances contre cette conduite préjudiciable et inconstitutionnelle, ont été faits en vain; – que le gouvernement britannique ait disposé de notre revenu sans le consentement constitutionnel le notre législature locale, qu’il a pillé notre trésor, qu’il a arrêté et emprisonné grand nombre de nos concitoyens, qu’il a répandu par tout le pays une armée mercenaire dont la présence est accompagnée par la consternation et l’alarme, dont la trace est rougie du sang de notre peuple, qui a réduit nos villages en cendres, profané des temples, et semé par tout le pays la terreur et la désolation; et attendu que nous ne pouvons plus longtemps souffrir les violations répétées de nos droits les plus chers et supporter patiemment ; – Outrages et les cruautés multiples du gouvernement du Bas-Canada, Nous, au nom du peuple du Bas-Canada, reconnaissant décrets de la divine Providence qui nous permet de renverser le gouvernement qui a violé l’objet et l’intention de sa création de faire choix de cette forme de gouvernement qui rétablira l’emploi de la justice, assurera la tranquillité domestique, pourvoira à la défense commune, augmentera le bien général, et garantira à nous et à notre postérité les avantages de la liberté civile et religieuse;
Déclarons solennellement :
1. Que de ce jour et à l’avenir, le peuple du Bas-Canada est libre de toute allégeance à la Grande-Bretagne, et que le politique entre ce pouvoir et le Bas-Canada, est maintenant rompu.
2. Qu’une forme républicaine de gouvernement est celle convient le mieux au Bas-Canada, qui est ce jour déclaré être une république.
3. Que sous le gouvernement libre du Bas-Canada, tous les individus jouiront des mêmes droits : les sauvages ne seront plus soumis à aucune disqualification civile, mais jouiront des mêmes droits que tous les autres citoyens du Bas-Canada.
4. Que toute union entre l’Église et l’État est par la présente déclarée être dissoute, et toute personne aura le droit d’exercer librement telle religion ou croyance qui lui sera dictée par sa conscience.
5. La tenure féodale ou seigneuriale des terres est par la présente abolie, aussi complètement que si telle tenure n’est jamais existé au Canada.
6. Que toute personne qui prendra les armes ou qui donnera autrement de l’aide au Canada, dans sa lutte pour l’émancipation, sera et est déchargée de toutes dettes ou obligations réelles ou supposées résultant d’arrérages des droits seigneuriaux ci-devant en existence.
7. Que le douaire coutumier est. pour l’avenir, aboli et prohibé.
8. Que l’emprisonnement pour dettes n’existera pas davantage excepté dans certains cas de fraude qui seront spécifiés, dans un acte à être plus tard passé à cette fin par la Législature du Bas- Canada.
9. Que la condamnation à mort ne sera plus prononcée ni exécutée, excepté dans les cas de meurtre.
10. Que toutes les hypothèques sur les terres seront spéciales et pour être valides seront enregistrées dans des bureaux à être établis pour cette fin par un acte de la Législature du Bas-Canada.
11. Que la liberté et l’indépendance de la presse existera dans toutes les matières et affaires publiques.
12. Que le procès par jury est assuré au peuple du Bas-Canada dans son sens le plus étendu et le plus libéral, dans tous les procès criminels, et aussi dans les procès civils au-dessus d’une somme à être fixée par la législature de l’État du Bas-Canada. 13. Que comme une éducation générale et publique est nécessaire et est due au peuple par le gouvernement, un acte y pourvoyant sera passé aussitôt que les circonstances le permettront.
14. Que pour assurer la franchise électorale, toutes les élections se feront au scrutin secret.
15. Que dans le plus court délai possible, le peuple choisisse des délégués, suivant la présente division du pays en comtés, villes et bourgs, lesquels formeront une convention ou corps législatif pour formuler une constitution suivant les besoins du pays, conforme aux dispositions de cette déclaration, sujette à être modifiée suivant la volonté du peuple.
16. Que chaque individu du sexe masculin, de l’âge de vingt et un ans et plus, aura le droit de voter comme il est pourvu par la présente, et pour l’élection des susdits délégués.
17. Que toutes les terres de la Couronne, et aussi celles qui sont appelées Réserves du Clergé, et aussi celles qui sont nominalement la possession d’une certain compagnie de propriétaires en Angleterre appelée « La Compagnie des Terres de l’Amérique britannique du Nord » sont de droit la propriété de l’État du Bas-Canada, et excepté telles parties des dites terres qui peuvent être en possession de personnes qui les détiennent de bonne foi, et auxquelles des titres seront assurés et accordés en vertu d’une loi qui sera passée pour légaliser la dite possession et donner un titre pour tels lots de terre dans les « townships » qui n’en ont pas, et qui sont en culture ou améliorés.
18. Que les langues française et anglaise seront en usage dans toutes les affaires publiques.
Et pour l’accomplissement de cette déclaration, et pour 1e soutien de la cause patriotique dans laquelle nous sommes maintenant engagés avec une ferme confiance dans la protection du Tout-Puissant et la justice de notre conduite, – nous, par ces présentes, nous engageons solennellement les uns envers les autres, nos vies et nos fortunes et notre honneur le plus sacré.
Par ordre du gouvernement provisoire.
ROBERT NELSON, Président
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